Les Origines

On trouve les premières mentions du jeu d’échecs sous le nom de « chatrang » au VIème siècle, dans des poèmes écrits en persan. Il s’agit d’un jeu que devait maîtriser les nobles de l’empire sassanide. Plus précisément, l’origine première du jeu viendrait de la vallée du Gange, entre l’Inde et la Perse.

Au VIIème siècle, la chute de l’empire sassanide devant la conquête arabo-musulmane permet de diffuser plus largement l’ancêtre du jeu d’échecs, appelé alors « shatranj ». Les premiers traités sont rédigés, élevant le jeu au rang de science et donnant lieu à des tournois prisés.

Il compte alors le même nombre de pièces qu’aujourd’hui : 16 pièces pour chaque joueur sur un échiquier de 64 cases, mais les pions sont appelés différemment (8 pions, 1 shah, 1 vizir, 2 éléphants, 2 chevaux et 2 roukhs ou tours) et n’ont pas la même latitude sur l’échiquier que le jeu actuel.

Avec l’invasion de l’Espagne par les musulmans, le jeu d’échecs va se répandre en Europe aux alentours de 900, ce qui est corroboré par les fouilles archéologiques menées en Espagne notamment.

Le Jeu actuel

Les européens vont adapter le jeu d’échecs en fonction de leur culture chrétienne : une Reine prend place à côté du Roi et l’éléphant « Al-fil » deviendra « Aufin », puis « fol » et enfin Fou. On obtient donc le roi, la reine, deux fous, deux cavaliers, deux tours et huit pions pour chaque joueur. Les pions ont une amplitude de mouvement différente du jeu originel, mais globalement, l’essentiel du jeu reste le même.

Des variantes locales vont voir le jour en Espagne et en Allemagne au XIIIème siècle, mais resteront circonscrits et sans réelle influence par la suite :

  • Les « grands échecs », soient deux armées de 24 pièces sur un échiquier de 144 cases, mettant en scène une série d’animaux fabuleux à côté des figures traditionnelles
  • Les « Quatre Saisons » intitulé ainsi car il s’agissait d’un jeu d’échecs pour quatre joueurs

Et enfin, en Allemagne,

  • Les « échecs courrier » qui se jouent sur un échiquier allongé (12 x 8 cases) avec 24 pièces par joueur.

Evolution des formes et Matériaux

L’ensemble des données archéologiques d’une part, et des documents iconographiques d’autre part, permettent de distinguer plusieurs périodes qui reflètent l’évolution du jeu d’échecs et des pièces, ainsi que la diversité des matériaux utilisés.

Du Xème au XIIIème siècle

A l’origine, en Orient, la stylisation des pièces d’échecs répond à une prescription islamique qui bannit toute représentation humaine.

En Occident, dans un premier temps, les chrétiens adoptent les mêmes formes et se contentent de changer les noms des pions : le shah devient le Roi, la Reine remplace le Vizir, les chevaux sont les cavaliers ; les éléphants, les fous ; les « roukhs », les tours et les fantassins, les pions.

Les pièces sont dans l’ensemble sculptées, et non tournées, car seuls les tabletiers et les cristalliers sont habilités à la fabrication de ce type d’ouvrages.  Ils utilisent majoritairement du cristal de roche, du bois de cerf, de l’os ou bien encore de l’ivoire.

Selon la symbolique médiévale, ces matières renvoient au monde terrestre et animal, des éléments qu’on ne peut entièrement maîtriser à l’instar des jeux d’échecs.

Du milieu du XIIIème siècle au début du XVème siècle

Les pièces vont changer de forme car elles ne sont plus sculptées mais fabriquées au tour. De forme circulaire, elles sont courtes et trapues et ornées de décors concentriques.

Les tourneurs sont donc maintenant autorisés à produire des jeux qu’ils fabriquent essentiellement en bois de buis. Les échiquiers sont d’essences diverses : ébène, cyprès, noyer, frêne, buis et pour les plus luxueux, en pierres semi-précieuses (jaspe, béryl, jais ou ambre).

Ces évolutions s’expliquent par le souci de la noblesse, de lever l’opprobre qui pèse sur les jeux en général, et sur les échecs en particulier. En adoptant le bois, qui est associé dans la religion chrétienne, au bois de la Croix du Christ, le jeu sort de sa « condition animale » pour acquérir une sorte « d’humanité », et par là même une certaine respectabilité. Et l’utilisation du buis renforce encore cette notion puisqu’il est symbole d’éternité et emblème de chasteté. Cette démarche s’avère payante puisque vers 1300, le moine Jacques de Cessoles, dans son ouvrage De liber moribus hominum officiis nobilum sive super ludo scacchorum, (Livre des coutumes et obligations des gens de qualité et du peuple dans le jeu des Echecs) moralise et légalise le jeu, en préconisant aux joueurs la réflexion et la stratégie.

Du début du XVème au début du XVIème siècle

Les formes des pièces vont à nouveau changer, annonçant l’ère des « échecs rapides » : ce changement intervient parallèlement à la mise en place de nouvelles règles du jeu visant à raccourcir les parties et à les rendre plus attractives : de fait, la Reine devient un pion central du jeu et le Fou acquiert son fonctionnement actuel.

Les pièces deviennent donc beaucoup plus fines et élancées, tout en présentant néanmoins des ressauts multiples. L’imagination des tourneurs sur bois va ainsi donner lieu à d’innombrables variantes du même modèle.

L’invention de l’imprimerie (vers 1454) va jouer un rôle déterminant dans le développement du jeu ainsi que pour l’unification des règles. Ainsi, l’ouvrage imprimé de Cessole paraît en 1473, suivi de nombreuses traductions dans toute l’Europe, ce qui accrédite le fait que les Echecs sont devenus le jeu de société le plus populaire de l’époque.

Du XVIIème au XIXème siècle

Au début du XVIIème siècle, le monde des échecs est entièrement en place – joueurs professionnels, tournois, traités et manuels d’enseignement, public de passionnés – et l’engouement ne fait que s’amplifier dans toute l’Europe.

Mais il faudra encore attendre 1850 pour que le style Staunton, du nom du joueur anglais, soit adopté comme norme internationale : les pièces, de fabrication mécanique, ont une forme de colonnes avec une large assise moulurée. Et celles représentant des personnages, possèdent un « collier » qui sépare le corps de la tête.

Personnages historiques

Cette passion pour les échecs se répand dans toutes les cours d’Europe et de nombreux musées possèdent des jeux d’échecs ayant appartenu à des personnages historiques, rois, princes, hommes politiques ou célèbres collectionneurs tels Louis XVI, Le tsar Nicolas II, Eugène Sue, George Washington ou bien encore Napoléon.

Ce dernier nous intéresse à plus d’un titre, non seulement comme collectionneur et joueur d’échecs mais également comme « sujet » de pièces d’échecs.

C’est le cas du jeu présenté ici, mettant en scène Napoléon, Joséphine (?) et son armée de grenadiers contre les Turcs. Il s’agit d’un jeu d’échecs en ivoire finement sculpté, l’armée turque étant teintée en rouge.

Il s’agit probablement d’un épisode de la Campagne d’Egypte, qui a constitué un sujet très populaire pour les artistes. Peut-être s’agit-il plus précisément d’une représentation symbolique de la bataille d’Aboukir (25 juillet 1799) entre l’Armée française d’Orient commandée par le général Bonaparte et les Turcs ottomans, en Egypte ?

On connaît quelques autres exemples de jeux d’échecs mettant en scène Napoléon, soit contre l’empereur François Ier, soit contre le duc de Wellington ou bien encore contre Frédéric le Grand, mais ils restent relativement rares, et plus particulièrement en ivoire.