Les Poêles d’Alsace et d’Allemagne
Les recherches archéologiques menées depuis une trentaine d’années tant dans le sud-ouest de l’Allemagne qu’en Alsace, ont permis de faire la lumière sur l’histoire de la céramique de poêle à l’époque baroque. L’étude est partie d’un ensemble de deux poêles retrouvés complets à Durlach (Allemagne) ainsi que d’éléments de comparaison pris dans les collections alsaciennes et allemandes.
Ce sont des poêles à deux corps composés d’un foyer en plaques de fonte surmonté d’une partie en carreaux graphités. Grâce à de multiples exemples, on peut reconstituer l’ensemble des formes mais également des motifs et par-delà, le déroulé de la production, du modèle gravé au poêle installé.
La série d’apôtres du Rhin supérieur
Parmi les motifs récurrents, on trouve une série de figures d’apôtres en pied, appelée aussi « série d’apôtres du Rhin supérieur » inspirés aussi bien de modèles gravés que de l’imagination du potier. Largement diffusées dans la région du Rhin supérieur, depuis le milieu du XVIème siècle, ces séries comptent jusqu’à seize personnages : Outre les douze apôtres, on trouve aussi Le Christ et la Vierge, saint Paul et la Crucifixion.
A côté des représentations classiques d’apôtres en pied (dénommés types A & B), on trouve une autre variante de type C, qui se caractérise par la représentation d’un apôtre ou d’une scène de Crucifixion, comme sur le carreau présenté ici (Figures 1, 2 & 3 ci-dessus). La Crucifixion prend place dans un cadre à décor d’architecture discret, agrémenté de deux gardiens aux bras coupés, de part et d’autre du motif central (Figure 4 & 5). Cette représentation particulière vient des traités d’architecture, tel celui sur l’ordre des colonnes publié à Strasbourg en 1593 par Wendel Dietterlin (1550 – 1599). Il s’inspire des théories de Vitruve, selon lequel les colonnes sont dérivées du corps humain. On sait que ce motif était généralement présent sur les carreaux d’angle et les corniches. Les bases de ces figures sont décorées de feuilles d’acanthes en rosettes.
Dans les écoinçons, des anges maintiennent les cuirs du sommet de l’arcature. Ce type C est présent dans tout le Rhin supérieur.
Au pied de la Croix, de part et d’autre, Marie et Jean et entourant la base de la Croix, la figure de Marie Madeleine.
La Datation
En fonction des motifs stylistiques utilisés et des datations quelquefois restantes, on peut en déduire les périodes de fabrication et d’utilisation des carreaux.
En ce qui concerne la série des apôtres en général, on peut remonter à la fin du XVIème siècle ou au début du XVIIème siècle, au moment où émergent différents modèles graphiques…..Les dates inscrites au dos des moules ou sur l’avers des carreaux permettant quelquefois d’affiner un peu plus les périodes d’utilisation de chaque motif. Pour la série d’apôtres du Rhin supérieur, qui nous intéresse plus particulièrement, on a pu déterminer une fourchette entre 1669 et 1689. Même si, comme dit précédemment, les modèles graphiques sont connus depuis le début du XVIIème siècle.
La place du carreau dans l’architecture du poêle
Grâce aux modèles de poêle conservés dans les collections (Ex : Fribourg en Brisgau) ou reconstitués de façon vraisemblable, on connaît leur aspect originel et la place qu’y occupaient les carreaux de la série d’apôtres. Selon les modèles, deux ou trois rangées de carreaux d’apôtres au registre supérieur surplombent une base en fonte (Figure 6).
Les diverses fouilles ont permis également de déterminer que les moules, en une ou deux pièces, de la série des apôtres appartiennent généralement au répertoire de base des ateliers de potiers locaux, ce qui permet une multitude de tirages et donc des économies certaines. Les artisans acquièrent également des formes en creux pour diversifier leur production, selon l’accessibilité ou non à des marchés régionaux.
Ces moules en une ou deux parties permettaient d’associer d’autres éléments que celui des apôtres avec le motif des gardiens aux bras coupés.
En définitive, l’analyse conjointe des carreaux de poêle alsaciens et allemands nous donne des indications sur la diversité des formes des encadrements et des motifs centraux utilisés mais également sur le parcours du motif de référence originel jusqu’à sa libre adaptation dans le poêle.