Les Marques à pain

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Aliment de base par excellence, le pain est attesté depuis la nuit des temps. Et c’est dès l’époque romaine que l’on trouve trace des premières règlementations qui concernent sa fabrication. Deux raisons à cela : éviter la fraude liée au poids du pain et la fraude fiscale.
Au Moyen Age, la situation diffère quelque peu selon que l’on soit à la campagne ou en ville.
Dans les campagnes, on pétrit sa pâte à pain soi-même et on la fait cuire dans le four commun du village. En ville, la fabrication et cuisson du pain est confié au pesteur (latin « pistum ») ou fournier, personne qui fabrique le pain, et qu’on appelle boulanger à partir du XIIème siècle. Le mot vient du patois picard boulenc signifiant « celui qui fait des pains ronds ».
Dès 1305, plusieurs lettres patentes du roi Philippe le Bel font état d’un problème récurrent lié à la qualité, au poids et au prix du pain. En 1316, Louis X ordonne de cuire en sa présence plusieurs pains issus d’une même pâte, afin de prouver que le poids de chaque pain reste égal, contrairement aux dires des boulangers. Par la suite, en date du 21 avril 1372, Charles V crée une police du pain, qui instituera trois sortes de pain, chacun devant être réalisé avec une quantité de pâte précise et donc un poids invariable. Puis Charles VII décide par son ordonnance du 19 septembre 1439, de bloquer le prix du pain, afin d’éviter les fluctuations liées au cours des céréales.
Enfin, l’ordonnance du roi Louis XII, le 16 juillet 1511, impose le marquage du pain dans tout le royaume, afin de résoudre définitivement les problèmes de qualité et de poids du pain. Elle sera renouvelée par François Ier en 1546 : « Il a été ordonné aux Boulengers d’imprimer fur le pain qu’ils font, les lettres initiales de leurs noms ; & en même temps de marquer la pefanteur de chaque pain, par autant de points que le pain pefe de livres ; afin d’avoir recours contre le Boulanger dans le cas de défectuofité, foit par la mauvaife qualité du pain, foit par la fauffeté du poids marqué. Cet ufage a été établi partout où la Police pour le pain a été portée au point où elle étoit déjà à paris, il y a plus de deux fiècles, lorfqu’on ordonna aux Boulengers d’appofer chacun leur marque fur leurs pains : ce fut en 1546 que cela leur fut ordonné pour la première fois. » (1)
On institue donc des marques à pain, sous forme de tampon de bois ou de fer forgé, muni ou non d’un manche, souvent cylindrique, décoré d’un motif décoratif, religieux ou d’un numéro permettant d’identifier le boulanger qui a œuvré.
Dans les campagnes, la cuisson du pain pouvait être organisée de façon collective sous la surveillance d’un meunier ou boulanger attachés au service du seigneur du lieu. Chaque famille devait donc posséder sa marque à pain, lui permettant de récupérer son dû, en fin d’opération. A cette marque, le boulanger pouvait apposer la sienne, après avoir contrôlé le poids de la pâte et sa composition. Ainsi, les variétés de pain faisaient l’objet d’un marquage particulier numéroté de 1 à 5 : pur froment, seigle, orge, avoine et mélange divers. Il y avait donc la possibilité pour le seigneur de connaître le nombre de pains cuits par village – la quantité de farine utilisée, le poids de céréales utilisées par rapport à la récolte déclarée par chaque foyer – et l’honnêteté de ses administrés.
Une fois cuits, la plupart des pains restaient plats. Ainsi, les marques et décors apposés ne se craquelaient pas à la cuisson et restaient parfaitement lisibles. Les motifs décoratifs rencontrés sont très divers : religieux (monogramme du Christ IHS, croix surmontant des coeurs), végétaux (décor de feuillage, entrelacs et rosaces), géométriques (lignes, cubes, rectangles) ou bien porteurs d’une symbolique héraldique, comme la marque à pain présentée ici.
D’un diamètre de 19,5 cm, elle est ornée des armoiries des Ducs de Lorraine, adoptées à partir du règne d’Antoine Ier de Lorraine, dit le Bon (né en 1489 – 1508 – mort en 1544), et qui se décomposent comme suit :

Les Ducs de Lorraine portent le titre de Rois de Jérusalem, de Naples, de Hongrie et d’Aragon ainsi que de ducs d’Anjou, de Bar, de Gueldre et de Juliers. On trouve donc sur leurs armoiries:
– en haut à gauche, en un : fascé d’argent et de gueules (armes de la Hongrie) ;
– en deux, les fleurs de lys (armes des ducs d’Anjou) ;
– en trois, la Croix des Rois de Jérusalem ;
– en quatre, d’or à quatre pals de gueules (armes du royaume d’Aragon);
– en cinq, semé de France, à la bordure de gueule (armoiries du royaume de Naples) ;
– en six et sept, les deux emblèmes des duchés de Gueldre (lion d’or) et de Juliers (lion noir) ;
– en huit, d’azur semé de croix recroisetées, au pied fiché d’or, à deux barbeaux adossées de même, brochant sur le tout (armes du duché de Bar);
-sur le tout, parti d’or à la bande de gueules, chargé de trois alérions d’argent (armoiries du duché de Lorraine)

Note

(1) Malouin et Duhamel Dumonceau, Arts des aliments, les points cardinaux, réimpression de 1767, fac-similé.

Bibliographie – Sources

BOUCARD Daniel – Vocabulaire illustré des arts populaires, Eyrolles, Paris, 2014.

CHATELAIN Jacques – Marque ton pain, fleuris ton beurre – Gestes et empreintes dans la vie quotidienne : graphisme et symbolisme dans les Alpes occidentales – Musée du Vieux Pays-d’Enhaut – 2008

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