Henry Arnold (1879-1945)
La Légende Héroïque, intitulée aussi femme à la lyre ou Allégorie de la Musique (!)
Epreuve en bronze signée sur la terrasse à gauche « Henry Arnold »
Trace d’un cachet apposé sur la terrasse, à gauche de la signature.
Hauteur : 80 cm
Largeur: 22.9 cm
Profondeur : 22.9 cm
Issu d’une famille de petits commerçants en literie, Henry Arnold est très tôt initié à l’art par son père, passionné de peinture et de musées. Tout naturellement, il commence donc à l’âge de 15 ans, par s’essayer à la peinture puis découvre la sculpture, dont il veut faire son métier. Soucieux de sa formation, son père le place comme compagnon chez un ornemaniste où il travaille à la décoration du Petit-Palais (1896) puis il intègre l’école des Beaux Arts, dans l’atelier de Barrias (1898), où il estimera plus tard n’avoir rien appris. Toujours curieux de nouveauté, il part ensuite travailler pendant un an et demi en Russie où il exécute quelques travaux de décoration ornementale.
A partir de 1903, il commence à exposer son travail, essentiellement des portraits, au Salon d’Automne et à la Société Nationale des Beaux Arts.
C’est à cette période qu’il fait la connaissance de Lucien Schnegg et de sa « bande », dont il fera partie intégrante. Ce groupe artistique composé de nombreux praticiens de Rodin – Despiau, Pompon, Dejean, Drivier – rejoints par Jane Poupelet, Wlerick et Arnold , veut se démarquer du travail de Rodin, qu’il juge « abouti » pour revenir à un classicisme antique.
» A la création mouvementée, agitée, tourmentée, en un mot romantique, ils préfèrent la méditation, la gravité, la simplicité, traduites par la plénitude des formes des œuvres de cette époque par eux créées. » (1)
En 1904, une première exposition, intitulée « Certains », réunit le groupe. Bien que constituée de sculpteurs indépendants les uns des autres, la bande à Schnegg va incarner, jusque dans les années 1930, une troisième voie synthétique entre le romantisme de Rodin et la sculpture monumentale de Bourdelle. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le critique d’art Louis Vauxcelles les considèrera du reste comme les représentants par excellence de la sculpture française.
« Schnegg préconise un retour aux cadences architecturales. Une sculpture est donc exprimée comme en architecture par des rythmes et des plans. Une œuvre vaut davantage par son organisation interne. On ne procède plus par allusion, on met en œuvre des idées claires. Le sculpteur traduit en forme géométrique les formes indécises que lui propose le modèle et trouve un équivalent grâce aux jeux des plans et à la transposition des valeurs, c’est à dire des saillies et des creux.
Ils ont affectionné en revanche, ce modèle sans accident que Rodin avait ignoré. Ces motifs simples et évidents, ces masses unies qui se lisent d’un simple coup d’œil. De ce retour au calme un complément est évident: l’immobilisation de la sculpture. L’immobilité de l’âme répond à celle du corps. Autant la sculpture du XIXème avait aimé le mouvement, autant celle du début du siècle chérit le statisme et la paix.
La référence à l’antiquité vient sans cesse à l’esprit. Ce n’est pas une volonté d’imiter la sculpture qui caractérise la sculpture indépendante mais le désir de retour vers des qualités de clarté et d’équilibre, dont celle ci reste le grand exemple. Désir également de rompre avec l’enseignement de l’école des Beaux Arts, de se distancier du modèle vivant, de façon à rendre sincérité, force et poésie à la sculpture. Pour cela, il a fallu lutter contre l’élément sentimental et littéraire, l’illusion naturaliste, fragmentaire, pathétique. (2)
Dès lors, Arnold va s’attacher à réaliser un art de synthèse, notamment dans ses portraits qu’il traite avec quelques lignes directrices indispensables pour exprimer la simplicité, mais qui confèrent néanmoins une grande puissance à ses visages. Rien n’est superflu, mais l’essentiel est exprimé.
Parallèlement à ses réalisations, il devient professeur de dessin à l’école Germain Pilon, plus tard école des Arts Appliqués. Pendant la Première Guerre mondiale, mobilisé, il met sur pied avec succès, un plateau altimétrique pour la fabrication de plans en relief, destinés à l’état major.
Mais c’est au sortir de la guerre que son art s’épanouit et devient plus prolifique: en effet, on le sollicite pour intégrer son art de sculpteur à l’architecture, dans trois commandes de monuments aux Morts.
C’est dans ce contexte que s’inscrit la réalisation du Monument aux Morts de Bouleurs (Seine et Marne), projet décidé dès Novembre 1920 par la municipalité, pour remplacer une plaque commémorative en marbre, et approuvé par décret le 21 Février 1921 par la préfecture.
La guerre avait d’autant plus marqué les habitants de Bouleurs que durant quatre ans, les convois montant au front, avaient traversé le village.
Enfant du pays, Henry Arnold est choisi pour mener à bien cette œuvre.
Le 10 Août 1923, il propose un devis estimatif de son projet, où il fait déjà mention d’une sculpture en pierre.
Le 19 Août, il présente au conseil municipal le sujet choisi, la légende héroïque, ainsi que la maquette qu’il a réalisée pour l’occasion et qui est acceptée. Le marché de gré à gré est passé pour un prix de 9 000 francs, somme qui se décompose de la manière suivante : 5000 francs provenant du budget supplémentaire de la commune, 3128 francs disponibles grâce a la souscription des habitants et enfin, 872 francs par les fonds de la commune. Le tout est avalisé par le sous préfet de Meaux, le 5 Novembre 1923.
Le monument est réalisé dans le courant de 1924: il se compose d’un socle en pierre de Lorraine (hauteur: 1m20) sur lequel une figure en pierre (hauteur: 2m30), représentée sous les traits d’une femme, chante les prouesses des soldats morts.
Le travail d’Arnold est d’une très grande sobriété : seul un casque posé aux pieds de la Légende Héroïque nous rappelle la destination du monument.
Il s’est appliqué à exprimer le plus justement et le plus sobrement possible l’hommage de tout un village à ses enfants morts, avec un minimum de moyens: une femme tenant une lyre et vêtue à l’antique, dans une attitude statique et digne, la tête légèrement baissée, exprime le pathos qu’on attend d’une telle œuvre.
Voici ce qu’Arnold lui-même en dit:
» Dans la légende héroïque, grande statue de pierre qu’il produisit en 1924 et qui orne le « monument aux morts de la guerre de Bouleurs », il montre à quel pathétique peut atteindre la simplicité et la sobriété d’un geste: une femme toute droite et drapée de plis sévères penche un visage au regard tragiquement pur et chante en s’accompagnant sur la cithare antique, les hauts faits des combattants disparus. À ses pieds, un casque à demi caché par le pan de sa tunique, évoque seul le champ de bataille…..aucun autre attribut de guerre et l’impression de l’ensemble est saisissante…..c’est de la beauté pure d’où se dégage une émotion profonde faite d’une étrange sérénité. »(3)
En comparant la maquette du 19 août 1923 (4) avec l’exécution finale, on s’aperçoit qu’ Henry Arnold s’est ingénié à gommer tout détail superflu: il n’y a plus ni déhanché, ni geste emphatique: juste une silhouette statique dont la position et la retenue expriment la dignité et la douleur.
Plusieurs modèles réduits de cette sculpture existent dans différents matériaux: en pierre (localisation inconnue), en plâtre (Musée de Boulogne Billancourt) et enfin en bronze (5) (localisation inconnue).
Pour l’édition de la Légende Héroïque en bronze, Henry Arnold va faire appel au fondeur Colin, comme l’attestent plusieurs exemplaires de cette sculpture passés en vente au enchères(6).
La Maison Colin existe depuis 1882, date à laquelle Émile Colin rachète la Maison d’Emile Vié, avec qui il travaillait. L’entreprise prend le nom d’ « E.Colin et Cie » et va notamment éditer les bronzes de Carpeaux jusqu’en 1906.
A la mort d’Emile Colin, en 1899, la maison prend le nom de « M.Colin et Cie » et est réputée pour sa lustrerie, ornée de bronzes. Récompensée par un grand prix à l’Exposition Universelle de 1900, la production est consacrée exclusivement au bronze d’art contemporain, au détriment de l’édition classique.
En 1904, reprise par Lucien Lopès, l’enseigne devient « Lopès et Cie » puis « Ancienne Maison Colin, Jollet et Cie » de 1906-1907 à 1923.
Jollet mourant en 1923, l’entreprise retrouve alors son nom d’origine » Ancienne Maison Colin » et est administrée par Louis Paignant, dernier propriétaire avant la fermeture définitive des ateliers et du magasin existant en 1955. (7)
Après cette période, on perd la trace de ce qu’il a pu advenir tant du fonds lui-même, que des archives de la Maison Colin.
Je n’ai donc pu trouver aucun renseignement tangible concernant le nombre d’exemplaires édités en bronze.
Au vu des quelques épreuves ayant été mis en vente, on peut seulement affirmer que cette œuvre existe en deux dimensions: entre 77 et 80 cm (hors socle ou pas) et entre 48 et 50 cm (hors socle ou pas). On ne peut ensuite que faire des spéculations selon les descriptifs donnés lors de chaque vente :
Pour la plus grande des dimensions, il existe au minimum deux exemplaires (cinq ventes ont eu lieu) (8);
Pour la plus petite des dimensions, il existe au minimum trois exemplaires connus (trois ventes ont eu lieu) (9).
Aucun des exemplaires passés en vente ne porte de numérotation.
Il ne m’a pas été possible de vérifier sur la pièce même le procédé utilisé pour l’édition du bronze, cependant d’après les recherches d’Elisabeth Lebon (10), il semblerait que la Maison Colin ait utilisé le procédé de la fonte au sable (11). Ce procédé est attesté, entre autres, par la mise en vente en 2001, d’un chef modèle (9). Il permet de couler un nombre relativement élevé d’exemplaires en reproduisant des modèles de formes simples ou complexes, de petites et moyennes dimensions.
Pour toute autre information sur cette oeuvre, merci de prendre contact avec Madame Sandrine Ladrière, de la Galerie Ratton-Ladrière, au 01 42 61 13 79.
Notes
(1) Henry Arnold sculpteur, Association des Amis d’Henry Arnold, 1994, p20
(2) Sophie Pulicani, le sculpteur Henry Arnold, mémoire de maîtrise sous la direction de Pierre Vaisse, professeur à l’Université de Paris X, septembre 1991, tome 1A p 86
(3) Article commandé à Henry Arnold et rédigé par lui, provient des archives familiales (1936)
(4) Outre le dessin de la maquette, il existe un fusain sur calque de la Légende Héroïque, réalisé en 1923-1924 et conservé au Musée des Années 30 de Boulogne Billancourt.
(5) Exposition en 1928 au Salon de l’Escalier, puis en 1933, au Salon des peintres-sculpteurs de la vallée du Grand Morin (Crécy en Brie)
(6) Vente Charbonneaux, Drouot, 20/06/1997, lot Numéro 70
Vente Martinot, Savignat, Antoine, Pontoise, 2003, lot numéro 87
Site internet de la Galerie Phoenix Art, 2013, numéro 0466
(7) Dans les années 1920, existent un atelier au 17, rue des Tournelles, Paris 4ème (1895-1939) (qui sert aussi de magasin à partir de 1905) et un magasin au 12, Avenue Victor-Emmanuel III, Paris 8 eme, entre 1924 et 1939.
(8)Vente Fontainebleau, 1/10/1989; Vente Charbonneaux, 20/06/1997, lot 70 – signé en creux sur la terrasse « Henry Arnold » – Cachet de fondeur: »Fondeur Colin Paris »; Vente Martinot Savignat Antoine, 2003, lot 1987 – signé sur la terrasse à gauche – Cachet Colin apposé sur la tranche de la terrasse à gauche ; Galerie Phoenix Art, 2013, référence 0466 – Cachet du fondeur: Colin Paris; Exemplaire de Mme L, signé sur la terrasse Henry Arnold, cachet du fondeur illisible.
(9)Vente Sotheby’s, NY, 08/01/1998, lot 441 – signé, cachet Colin Paris; Vente GGB, Enghien, 2000, lot 146 – signé sur la base; Vente Martinot Savignat Antoine, 19/05/2001, lot 246 – signé sur la terrasse, pas de cachet de fondeur, inscription « modèle » (probablement le chef-modèle).(11)
(10) Elisabeth Lebon, dictionnaire des fondeurs de bronze d’art en France 1890-1950, Édition Marjon, 2005.
(11) fonte au sable: le mouleur crée un moule en tassant autour de son modèle installé dans un châssis, un sable silico-argileux qui forme une masse compacte et résistante en s’agrégeant. Le modèle est en plâtre, mais peut être aussi en bronze (d’où le nom de chef-modèle, constitué de multiples parties mobiles)
Chef-modèle: modèle en bronze utilisé pour fabriquer plusieurs moules en sable. Le chef-modèle est parfois appelé modèle-maître.
Bibliographie
Henry Arnold, sculpteur, Association des Amis d’Henry Arnold, 1994.
Elisabeth Lebon – Dictionnaire des fondeurs de bronze d’art en France 1890-1950, Édition Marjon, 2005.
Sophie Pulicani, le sculpteur Henry Arnold (1879-1945), Maîtrise, Paris X, Nanterre, 1991, tomes 1 et 2.
Thierry Roche – Dictionnaire biographique des sculpteurs des années 1920-1930, Édition Beau Fixe, 2007, p30.
La sculpture, méthode et vocabulaire, Ministère de la Culture et de la Communication, Imprimerie Nationale, Paris, 1978.
Sources
Bibliothèque des Arts Décoratifs, archives Bernard Metman, carton » papiers Metman », chemise « Ed Fabricants correspondance » : lettre de L.Paignant à B.Metman, 25 Février 1930.
Documentation du Musée des Années 30 (Boulogne Billancourt), du Musée d’Orsay et de la Mairie de Bouleurs.
Lettre à Mme Odile Arnold, fille d’Henry Arnold, restée sans réponse. Étant donné son âge, peut être est-elle décédée.