La fabrication de couteaux à Laguiole (Aubrac) est attestée depuis la fin du XIVème siècle. Les taillandiers (fabricants d’outils tranchants) forgeaient pour les paysans et les ruraux, tout outil coupant ou taillant, indispensables aux divers travaux. Un célèbre dicton fait d’ailleurs florès dans l’Aubrac : « Mieux vaut avoir oublié son pantalon que son couteau ».
Les premiers couteaux sont très simples et droits (ne se fermant pas) car le fer est un matériau rare et coûteux. Le manche est garni de bois ou entouré d’une lanière de cuir. Ces couteaux sont portés à la ceinture, dans une gaine.
Au fur et à mesure, on imagine des couteaux de « métier » adaptés à certaines professions – rouliers, voituriers, cochers, charretiers – ainsi que des instruments pour les soins du bétail ou de la coutellerie plus raffinée pour une clientèle fortunée. Cette production est le fait d’ateliers artisanaux installés à Rodez, Séverac-le-château, etc.
Le Couteau Eustache
A la fin du XVIIème siècle, on trouve des couteaux fermants appelés « eustaches », du nom d’un coutelier stéphanois Eustache Dubois, qui avait eu l’idée de faire graver « Véritable Eustache » sur les manches de ses couteaux. De prix modique, ils étaient vendus pour les 2/3 en Espagne, en Italie, dans les colonies d’Amérique et dans les îles de la Méditerranée où ils faisaient l’objet de troc contre d’autres marchandises, le 1/3 restant étant destiné au marché français. Leur commercialisation est assurée par les marchands stéphanois ou lyonnais, en position de force.
En dépit du succès de ces couteaux produits à Saint-Etienne du Forez, la profession des couteliers prend le parti de s’installer au cœur de l’Aubrac, à Espalion, pour contrer la mainmise des marchands et les péages imposés par les autorités.
L’avantage est également de se débarrasser du contrôle de la jurande de leur corporation et de pouvoir faire de la contrebande forézienne dans le sud-ouest.
Les paysans de l’Aubrac connaissent déjà bien ces couteaux de type « Eustache » qu’ils ont pu acquérir sur les foires ou auprès des colporteurs, couteaux qui inspireront les « Laguiole ».
Premiers couteliers à Laguiole
A la fin du XVIIIème siècle, plusieurs facteurs permettent l’essor économique de l’Aubrac et l’installation de couteliers à Laguiole, notamment l’amélioration des routes et l’abolition des corporations après la Révolution.
C’est dans les années 1820 que les premiers couteliers s’implantent à Laguiole, et en particulier, Pierre-Jean Calmels, le premier de la dynastie éponyme qui fera la renommée de Laguiole. Il ouvre son atelier en 1829, rue du Valat.
Ces artisans couteliers vont remplacer les taillandiers et produire une marchandise plus diversifiée : haches, flammes à saigner, couteaux tranchelard, couteaux de cuisine, de table et les premiers couteaux fermants laguiolais.
Le couteau Laguiole
Les modèles stéphanois d’Espalion présentaient une variété de modèles, tant au niveau de la lame (bourbonnaise, de type stylet ou yatagan) que du manche (corne, buis tourné, bois), mais aucun ne comportait de dispositif pour maintenir la lame droite, autrement qu’à l’aide de la main.
On voit donc apparaître les premiers couteaux à ressort ou « laguiole droit », ressort à cran d’arrêt muni d’une mouche, qui permettait de garder la lame ouverte ou fermée. Pour refermer la lame, il fallait soulever la mouche. Le manche reste en corne ou en os.
Pierre-Jean Calmels va être à l’origine des premiers Laguiole à lame yatagan (lame pointue et élancée) qui sera une des caractéristiques du « Laguiole » entre 1850 et 1860. A partir du modèle stéphanois, il va donc forger le Laguiole connu actuellement : courbure du manche, lame élancée, pourvu d’un ressort à cran d’arrêt et d’une mouche.
Pierre Calmels (1844-1887), son fils, est le premier coutelier de Laguiole à participer à des expositions et des concours et à faire de la réclame. Jules Calmels (1874-1930) amplifie l’œuvre de son père en publiant les premiers catalogues imprimés, parallèlement aux concours professionnels. Et leur descendance continue actuellement l’œuvre entreprise….
Deux séries de six couteaux
Les douze couteaux présentés ici paraissent identiques ; il s’agit en réalité de deux ensembles distincts de par les inscriptions gravées sur les lames. Sur six d’entre eux, il est inscrit : « Calmels à Laguiole » « Hors concours », sur les six autres : « Calmels à Laguiole ».
Excepté cette particularité, ce sont rigoureusement les mêmes couteaux droits à manche en ivoire. Effectivement, parallèlement à la production de couteaux laguioles fermants, toute une gamme de laguioles de table, forgés main et de finition soignée, voit le jour. Ils sont vendus par six ou par douze pour former une ménagère. Ils ne possèdent pas de mitre (partie intermédiaire entre la lame et le manche) et sont donc plein-manche.
Ici, les manches sont en ivoire, puisqu’il s’agit de laguioles destinés à une clientèle aisée. Le matériau était acheté à des importateurs ou des courtiers situés à Paris ou au Havre, puis façonné à la main. La forme était donnée à la râpe, puis la brugière (outil pour le polissage) permettait d’assurer un poli maximal du manche.
Le décor
Vers 1880, les premiers décors apparaissent sur les laguioles, tant sur le manche que sur la mouche ou le ressort (absents ici). Les manches en ivoire ne sont pas sculptés, mais simplement façonnés. Ils reçoivent un décor constitué de petits clous percés plus ou moins élaboré. Les couteliers rivalisent également d’imagination pour orner l’extrémité du manche appelé « cul du couteau » : il s’agit ici d’un motif de trèfle, obtenu à l’aide de râpe et de lime.
Enfin, la soie ou ressort (le prolongement de la lame dans le couteau) fait aussi l’objet de motifs de guillochage ou de liseré, se continuant parfois sur le dos de la lame comme ici.
Les inscriptions : « Calmels à Laguiole » « Hors concours »
Des concours étaient organisés par produit, à l’échelle nationale ou internationale, avec une réglementation homologuée par le ministère du Commerce et de l’Industrie. Le sérieux de ces manifestations garantissait une belle publicité aux couteliers récompensés d’une médaille, qui pouvaient la mentionner sur les lames de leurs couteaux. Au bout de trois médailles d’or, l’exposant était sollicité pour faire partie du jury, sans concourir. Il pouvait donc apposer la mention prestigieuse « Hors concours » sur ses lames de couteaux, comme c’est le cas ici.
En fonction de toutes les caractéristiques précitées, et sans indications plus précises, on peut donc situer la fabrication de ces deux séries entre 1880 et 1930, sous la direction de Pierre ou Jules Calmels.
Contactée, la Maison Calmels n’a pas été en mesure de me fournir des informations plus précises.