Gilles-Lambert Godecharle (Bruxelles 1751-1835)
Buste de femme voilée, dite vestale
Marbre sur piédouche
Signé et daté au dos Godecharle f. 1818.
Hauteur : 28 cm
Largeur : 14.5 cm
Profondeur : 13 cm
Issu d’une famille d’artistes et originaire de Bruxelles, Gilles-Lambert Godecharle reçoit une première formation auprès de deux sculpteurs locaux, puis il parfait son art chez Laurent Delvaux (1), alors actif à Nivelles. Convaincu de son talent, celui-ci lui obtient une bourse de l’impératrice Marie-Thérèse, qui lui permet de s’installer à Paris dans les années 1770. Agréé par l’Académie royale de peinture et de sculpture où il bénéficie de la protection de Jean-Baptiste Pigalle, Godecharle devient l’élève de J.P.A Tassaert (2), natif d’Anvers. Après quelques années dans son atelier, s’ensuit une décennie pendant laquelle il va parcourir l’Europe : il accompagne Tassaert à Berlin où celui-ci a été appelé par Frédéric le Grand pour embellir sa capitale, puis se rend à Londres et enfin à Rome. Il exécute divers travaux tels des ornements de cheminée, un groupe en marbre de Carrare, et un projet de monument destiné au Parc royal de Bruxelles.
Mais ce n’est véritablement qu’à son retour dans sa ville natale, en 1780, que son talent va être reconnu à sa juste mesure. On lui commande en effet une série de frontons pour le Palais du Conseil souverain de Brabant et celui des gouverneurs généraux à Laeken, où l’on retrouve sous couvert du néo-classicisme en vogue, la légèreté et la grâce de l’esprit français, qui l’ont tant influencé. Son art va néanmoins évoluer vers une transcription plus sévère de l’antiquité, notamment dans les quatre statues prévues pour le Pavillon Valckiers (actuelle villa Belvédère) en 1789, ou bien encore dans la réalisation d’un groupe représentant la Charité (1795). Parallèlement à ces commandes publiques un temps suspendues pendant la période révolutionnaire, il enseigne aussi à l’Académie de Bruxelles, en tant que « premier professeur de sculpture d’après le modèle vivant et la figure antique ». De nombreux commanditaires privés font également appel à lui, tant pour des portraits que pour des statues allégoriques ou bien encore pour des copies d’antiques.
Daté de 1818, ce buste (Figure 1) présente un visage de jeune femme portant un voile qui lui couvre non seulement la tête mais aussi le menton et les épaules, encadrant et soulignant la finesse des traits. On devine un début de vêtement à l’antique sous la retombée des plis du voile.
Il s’agit de la copie en marbre d’un buste en bronze (Figure 2), sur piédouche de marbre bleu turquin, conservé au Musée du Louvre, sous la cote MR1696 (3) et connu sous le nom de vestale voilée ou Vestale Zingarella. Datant du XVIIème, il appartenait à Charles Errard (4), premier directeur de l’Académie de France à Rome (de 1666 à 1672, puis de 1675 à 1684) et peintre de Louis XIV, à qui il lègue sa collection en 1689. On peut légitimement supposer qu’il faisait partie des dix-huit bustes mentionnés dans le legs, puisqu’on le retrouve dans les collections royales, lors de l’Inventaire Général des Sculptures des Maisons Royales de 1707 au Château de Versailles : « une teste de bronze de dix huit pouces de haut repntant vestale ; ayant la teste toute couverte d’une draperie qui passe sous le menton et le col…. ».
En 1713, il est mentionné ainsi : « un buste de femme antique, ayant sur la tête un voile qui lui couvre le col et le menton, haut de dix huit pouces ». Vers 1731, François Boucher le représente dans un tableau allégorique intitulé les génies des Beaux Arts (Figure 3), commandé par Philibert Orry, directeur des Bâtiments du roi, pour son château de La Chapelle-Godefroy. Par la suite, lors du récolement des bronzes du garde-meuble de la Couronne de 1791, le descriptif parle du numéro 309 comme d’un « buste de femme, dite la vestale ayant sur la tête un voile qui lui couvre le col et le menton, haut de dix huit pouces, estimé dix huit cent livres ». Saisi à la Révolution, il est délivré le 3 août 1793 au Muséum national pour être exposé dans la Galerie d’Apollon. Il est inscrit ultérieurement dans l’inventaire Napoléon de 1810 et dans celui des Musées royaux de 1814-1824 parmi les sculptures des XVème et XVIème siècles de la salle des Antiques, sous l’appellation « femme coiffée d’un voile ».
Dans son ouvrage conséquent, Musée de sculpture antique et moderne, le comte de Clarac (5) le référence sous le N°3479B avec le titre: « Vestale Zingarella, bronze, pl.1105 ». Enfin, il est inventorié en 1857, dans la salle des Dessins de Rubens en ces termes : « d’après l’antique – fonte du XVIème – vestale (copie d’une tête connue sous le nom d’une), conservée à Rome au palais Corsini…….. »
Cette ultime description nous ramène à l’origine première de ce buste en bronze : c’est lui-même la copie d’un buste antique de femme voilée (Figures 4), considéré comme un buste de Vestale ou de la Vestale Tuccia (6), encore appelée Zingarella (7), buste en marbre qui appartenait aux collections du palais Corsini à Rome. Un deuxième exemplaire ornait la salle des Philosophes au palais Farnèse. Il est mentionné dans la collection Farnèse sous le numéro 6194.
Une autre copie XVIIème-XVIIIème (Figure 5) de cet antique Corsini, autrefois dans les collections royales espagnoles, est actuellement conservée au Musée du Prado (8), sous la dénomination Vestale Tuccia. Elle est notamment décrite dans l’inventaire après décès du roi Ferdinand VII en 1834 : « un busto de una Bestal de Marmol de Carrara con vasa de lo mismo copia de lo antiguo…..3.000 ». Puis en 1857, sous le numéro 291. Enfin, signalons le passage en vente publique d’un buste de femme similaire en marbre, réalisé au XIXème siècle chez Christie’s.
D’une manière générale, l’antiquité classique n’a cessé d’inspirer les artistes (9) : depuis la Renaissance italienne qui la remet à l’honneur, puis tout au long des XVIIIème et XIXème siècle, par le biais du courant néo-classique qui entend incarner une antiquité idéale, à l’opposé des courants baroques et rococo, et qui s’est nourri des découvertes archéologiques faites à Herculanum et Pompeï aux alentours de 1750.
Bien que sensible à l’esprit léger du XVIIIème et influencé de par sa formation, à la manière française, Godecharle sut aussi produire des œuvres en adéquation avec son époque : On ne peut en effet pas oublier son Hermaphrodite (1811), copie de l’Hermaphrodite Borghèse ou bien encore sa série d’hommes illustres choisis parmi l’élite gréco-romaine, réalisée entre 1816 et 1817, tels Cicéron, Marc-Aurèle ou Homère.
De la même manière, ce buste de femme présenté ici, répond également à toutes les exigences d’une antiquité rêvée (10) : par le thème même – la vestale – figure légendaire et digne de par son statut (11), ce qui permet de la représenter avec le hiératisme conforme aux canons de l’antique, et incarnation d’une beauté idéale ; par le choix du matériau – le marbre – qui permet de souligner la pureté des lignes et par le travail de sculpteur lui-même qui fait émerger ce fin visage aux yeux « aveugles », des multiples plis du voile.
On ne peut que formuler des hypothèses sur les circonstances de la réalisation de cette pièce :
– D’une part, sur quel modèle s’est-il appuyé ? A t-il eu l’occasion de voir les antiques des palais Corsini et Farnèse lors de son voyage à Rome en 1779 ou bien a-t-il pris comme modèle l’exemplaire XVIIème conservé au Louvre ? Cette deuxième hypothèse semble la plus probable dans la mesure où il s’est établi un certain temps à Paris où l’accès aux collections royales était possible puisque François Boucher, dès 1731, introduit cette figure de femme dans son tableau.
– D’autre part, répondait-il à une commande privée – ce qui pourrait expliquer la petite taille du buste – ou bien était-ce l’occasion de prouver son aptitude à imiter l’antique ? Cette dernière supposition est vraisemblable dans la mesure où l’on connaît son statut au sein de l’Académie de Bruxelles et sa propension à copier l’antiquité.
A notre connaissance, cette œuvre de Godecharle est véritablement une redécouverte dans la mesure où elle n’est ni mentionnée ni documentée dans aucun des ouvrages qui le concerne, ni même dans les collections royales belges : cela peut sembler surprenant car la réalisation d’une pièce en marbre requiert préalablement la réalisation d’un modèle en terre glaise puis d’un plâtre qui servira d’œuvre originale. On pouvait donc imaginer qu’il en subsiste quelque chose : dessin, terre cuite….pour l’instant, rien ne permet de le penser.
Cette mise au jour est donc capitale dans la compréhension de l’œuvre sculptée de Godecharle, et au-delà dans l’art néo-classique en général.
Pour toute autre information sur cette oeuvre, merci de prendre contact avec Madame Sandrine Ladrière, de la Galerie Ratton-Ladrière, au 01 42 61 13 79.
Légendes
Figure 1 – Buste de femme voilée, dite vestale – Marbre sur piédouche – Signé et daté au dos Godecharle f. 1818. – Hauteur : 28 cm – Largeur : 14.5 cm – Profondeur : 13 cm – Catalogue « De Stefano Moderno à Joseph Chinard » p 64- 67- Galerie Ratton-Ladrière, Paris
Figure 2 – MR 1696 – Femme coiffée d’un voile dite vestale voilée ou Vestale Zingarella – Bronze : Fonte d’après l’antique, sur piédouche de marbre turquin – XVIIème siècle – Italie – N°309 gravé sur la draperie à la base du cou – Hauteur : 47cm – Largeur : 31cm – Profondeur : 28cm – Musée du Louvre, département des Sculptures.
Figure 3 – Les Génies des Beaux-Arts – François Boucher – Huile sur toile – Vers 1731 – Hauteur : 102 cm – Largeur : 130,5 cm – Signé en bas à droite : Boucher – Troyes, Musée des Beaux-Arts (inv 835.8) – Château de la Chapelle-Godefroy – Confisqué en 1793 – Entrée au musée de Troyes en 1835
Figure 4 – Buste antique de femme voilée dite vestale Tuccia ou Zingarella – Marbre – Deux exemplaires connus : Collections des palais Corsini et Farnèse (N°6194) – Musée archéologique de Naples, Italie
Figure 4 – Tête de femme voilée – Musée de Naples – Reinach Salomon (1858-1932) – Recueil de têtes antiques idéales ou idéalisées – Paris, Gazette des Beaux-Arts – 1903 – pp208-209 – Planche 257.
Figure 5 – Buste de la vestale Tuccia (N°163) – Anonyme italien – marbre – XVII-XVIIIème siècle – Hauteur : 46cm – Hauteur du piédestal: 14 cm –Musée du Prado, Espagne
Notes
(1) Laurent Delvaux (1696-1778) – Après une carrière internationale à Londres et à Rome, il se fixe définitivement à Nivelles. Protégé par Charles de Lorraine, gouverneur général des Pays-Bas autrichiens, il a travaillé aussi pour de nombreuses cours européennes.
(2) Jean-Pierre-Antoine Tassaert (1727-1788) – sculpteur d’origine flamande, actif en France et en Prusse.
(3) MR 1696 – Femme coiffée d’un voile dite vestale voilée ou Vestale Zingarella – Bronze : Fonte d’après l’antique, sur piédouche de marbre turquin – XVIIème siècle – Italie – N°309 gravé sur la draperie à la base du cou – Hauteur : 47cm – Largeur : 31cm – Profondeur : 28cm – Musée du Louvre, département des Sculptures.
(4) Charles Errard (1606-1689) – Peintre de Louis XIV, Charles Errard sera l’un des douze fondateurs de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Il passera plusieurs années à Rome à partir de 1627 et deviendra le premier directeur de l’Académie de France à Rome, de 1666 à 1672, puis de 1675 à 1684. En 1689, Louis XIV accepte le legs d’Errard, contenant plusieurs statuettes en bronze.
(5) Charles Othon Frédéric Jean Baptiste de Clarac, Comte de (1777-1847), dessinateur, savant et archéologue français. Nommé en 1818 conservateur des antiques au musée du Louvre, il en publia une description en 1820. En 1830, paraît l’édition définitive de sa Description du musée du Louvre.
(6) Vestale Tuccia : vestale légendaire dont l’histoire est racontée par Valère Maxime : Accusée injustement d’avoir violé son vœu de chasteté, elle dut prouver son innocence en transportant de l’eau dans un tamis, depuis le Tibre jusqu’au temple de la déesse du Feu.
(7) Vestale Zingarella : Le terme de Zingarella indique une confusion entre le thème de la vestale et de la Bohémienne (appelée Zingara), qui a également la tête couverte.
(8) Coppel Aréizaga, Rosario, Catalogo de la escultura de época moderna – Museo del Prado – Siglos XVI – XVIII – Madrid – Museo del Prado, y Santander – Fundacion Marcelino Botin – 1998 – N°163 : La vestal Tuccia (busto) – Anonimo italiano – Siglo XVII-XVIII – Marmol – Altura : 46cm – Altura del pedestal : 14 cm.
(9) Antonio Canova (1757-1822), sculpteur néo-classique par excellence, s’inspira de la Vestale Tuccia , conservée au Musée de Naples, pour réaliser plusieurs bustes sur le sujet (Fondation Gulbenkian, Lisbonne ; Galerie d’art moderne, Milan et J.P Getty Museum)
(10) « ce buste étrange et charmant, connu sous le nom de la Zingarella (la Bohémienne), a déjà préoccupé Winckelmann, qui ne pouvait s’y résoudre à reconnaître une Vestale, suivant la désignation qu’il avait reçue au XVIIIème siècle. Gerhard remarqua avec raison que tout caractère sacerdotal fait défaut au buste de Naples ; il n’a d’ailleurs rien de commun avec les portraits authentiques de Vestales, véritables abbesses sévères et hautaines, que les fouilles du Forum romain nous ont révélées. Le voile ramené sur le menton, qui semblait tout à fait insolite à Gerhard, nous est aujourd’hui familier grâce aux nombreuses figurines en terre cuite qui présentent cette disposition ; … » – Salomon Reinach (1858-1932) – Recueil de têtes antiques idéales ou idéalisées – Paris – Gazette des Beaux Arts – 1903 – pp209-210 – Planche 257
(11) Vestale : prêtresse de la Rome antique dédiée à Vesta, déesse du feu. Choisie entre 6 et 10 ans, elle accomplissait un sacerdoce de trente ans durant lequel elle veillait sur le foyer public du temple de Vesta situé dans le Forum romain. Durant son sacerdoce, elle était vouée à la chasteté, symbole de la pureté du feu. Elle possédait un statut juridique très particulier : affranchie de l’autorité paternelle, elle bénéficiait également d’honneurs importants.
Bibliographie
Clarac M. Le Cte De – Maury Alfred– Musée de sculpture antique et moderne, ou Description historique et graphique du Louvre et de toutes ses parties, des statues, bustes, bas-reliefs et inscriptions du Musée royal des antiques et des Tuileries et de plus de 2500 statues antiques…..tirées des principaux musées et des diverses collections de l’Europe…accompagnée d’une iconographie égyptienne, grecque et romaine – Paris : Impr.royale (-impériale) – 1826-1853 – 13 volumes – Volume 7, tome VI, Iconographie antique – XXVIII-288p – N°3479B , planche 1105– p.193.
Coppel Aréizaga, Rosario, Catalogo de la escultura de época moderna – Museo del Prado – Siglos XVI – XVIII – Madrid – Museo del Prado, y Santander – Fundacion Marcelino Botin – 1998 – N°163.
Mary Delavigne – Catalogue de sculptures – Musée royal des Beaux-Arts de Belgique – 1922
Peggy Fogelman – « S’eri tu in viso quai ti feo Canova » : Canova’s Herm of a Vestal virgin – The J.P Getty Museum – Journal Volume 22/1994
Lennep, Jacques Van – Catalogue de la sculpture – Artistes nés entre 1750 et 1882 – Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique – 1992
Le Palais Farnèse- Rome, Ecole Française de Rome – Tome II, planche 269
Les Antiques du musée Napoléon – Edition illustrée et commentée des volumes V et VI de l’inventaire du Louvre de 1810 – Sous la direction de Jean-Luc Martinez – RMN, Collection « Notes et Documents » – 2004 – Volume VI – N°1618 – pp.755-756.
Les Bronzes de la Couronne – Paris – Editions de la Réunion des Musées Nationaux – 1999 – N°309 – pp.178-179.
Les sculptures européennes du Musée du Louvre – Catalogue sous la direction de Geneviève Bresc-Bautier – Musée du Louvre éditions – Septembre 2006 – p.427.
Malgouyres Philippe – Apollon dans la forge de Vulcain – Bronzes de la collection de Louis XIV au musée du Louvre – Kiev – 2008 – p.22 et 46.
Reinach Salomon (1858-1932) – Recueil de têtes antiques idéales ou idéalisées – Paris, Gazette des Beaux-Arts – 1903 – pp208-209 – Planche 257.
Expositions
François Boucher (1703-1770) – Paris – 1986-1987 – p.161, N°24
L’esprit créateur de Pigalle à Canova, terres cuites européennes 1740-1840 – RMN – 2003
Extraordinary Beautiful French Terracotta and plaster 1765-1815 – Daniel Katz – Londres – 2010
1770-1830 : Autour du néo-classicisme en Belgique – D.Coekelberghs & P.Loze – Bruxelles – Musées royaux de Belgique – 1985
La sculpture belge au XIXème – 5 octobre-15 décembre 1990 – La Générale de Banque – Bruxelles.
Portraits and Figures in paintings and sculpture 1570-1870 – London – Summer exhibition 1 – Heim Gallery 15 june-26 august 1983.
Sculptures européennes – Galerie Patrice Bellanger – 2 Avril-11Mai 2013
Sources
Documentation du département des Sculptures du Musée du Louvre
Dossiers Godecharle, Delvaux, Tessaert
Dossier Tête dite de Vestale, MR1696
Bibliothèque de l’INHA
Annexes
Inventaire Général des Sculptures des Maisons Royales de 1707 au Château de Versailles
Inventaire des bronzes du garde-meuble de la Couronne de 1791 – N°309 – p.242
Inventorié MR1696 en 1857 avec les sculptures des XVème et XVIème siècles – Louvre, salle des Dessins de Rubens